5 avril 2018

Marie-Anne CLOAREC, Société BOX POPULI

Me Emmanuelle ROUZET, Cabinet ACCOREM Avocat

Que dit la loi ?

Depuis le 1erjanvier 2017, en application de la loi Travail, les entreprises de plus de 50 salariés ont l’obligation de négocier sur le droit à la déconnexion.

A défaut d’accord collectif, l’employeur est tenu d’élaborer une charte de déconnexion, après avis des représentants du personnel. Cette charte doit définir les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et prévoir la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques. Elle est communiquée à l’ensemble du personnel.

Par ailleurs, tout employeur, quelle que soit sa taille, doit définir les modalités du droit à la déconnexion pour les salariés en forfait jours si cela n’est pas prévu par l’accord collectif à la base du dispositif de forfait jours. Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, ces modalités doivent être conformes à la charte sur la régulation de l’utilisation des outils numériques.

Mais pourquoi une telle loi ?

La Qualité de Vie au Travail est devenue un enjeu primordial pour les entreprises innovantes dans leur volonté d’améliorer leur image de marque employeur. Elles peuvent ainsicommuniquer auprès des nouvelles générations l’importance qu’elles accordent au bien-être au travail. En effet, les codes en entreprise ont évolué. On parle à présent de transformation managériale ; le Président Macron et sa Ministre du Travail souhaitent d’ailleurs amener la France au premier plan des Happy Tech, ces startups qui œuvrent pour la qualité de vie au travail…

Pour n’en citer que certaines, OsmoZ est un nouveau label autour de la qualité de vie au travail qui augmente la visibilité des entreprises qui s’en préoccupent, tandis que Yes We Share est une plateforme mise en place pour améliorer la qualité de vie au travail en interne.

Si la technologie s’est abondamment invitée dans l’entreprise du XXI° siècle, son penchant hyperconnecté est également pointé du doigt : le burn out peut faire l’objet d’une reconnaissance de maladie professionnelle. Il est aujourd’hui plus facile d’aborder le sujet, les mentalités ont évolué et acceptent la réalité d’une surcharge cognitive due à une vie professionnelle trop chargée. On sait d’ailleurs que le stress est la première cause d’arrêt de travail, coûtant cher en absentéisme, remplacements, erreurs, surmenage. S’interroger sur les pratiques liées à l’hyperconnexion est donc au-delà d’une nécessité légale, un moyen de repenser la performance et le bien-être en entreprise.

Comment la traduire concrètement ?

D’abord analyser les pratiques.

Chaque entreprise a ses particularités et chaque service ses contraintes. Imposer des règles de déconnexion uniformes serait inconcevable, car si elles s’intègrent efficacement pour certains, elles seraient contre-productives pour d’autres. Rendre efficace la loi passe donc par une nécessaire adaptation.

Commençons donc tout d’abord par analyser les pratiques internes : Existe-t-il une obligation de disponibilité pour l’international ? Quel interlocuteur se doit d’être disponible pour le bon fonctionnement de l’entreprise ? Quel rapport existe-t-il entre les managers et les employés ? Quelle articulation vie professionnelle / vie personnelle promouvoir auprès des salariés ? Quelle disponibilité assurer pour les clients ?

Toutes ces questions de bon sens permettent tout d’abord de dresser un tableau objectif de « joignabilité » ou « obligation de se rendre joignable » de chaque service, voire chaque salarié.

Ensuite définir une mise en œuvre concrète et personnalisée

Comme ces questions peuvent se multiplier selon les secteurs et leurs contraintes, il peut être utile de faire appel à un avocat pour adapter le droit à la déconnexion dans son entreprise.

Il s’agit à la fois de garantir le respect des obligations légales mais également de mettre en place des pratiques pertinentes et en cohérence avec les activités de chacun.

Ainsi la charte de déconnexion n’est plus seulement un document légal, mais bien un outil d’amélioration des comportements numériques et de l’usage des outils de communication. Il protège ainsi les salariés tout en contribuant à la marque employeur de l’entreprise.

Quelles bonnes pratiques mettre en place ?

Rappelons-le : l’objectif n’est pas d’interdire à quiconque de travailler quand il veut, mais bien de donner la possibilité à chacun de ne pas se sentir contraint de travailler lors de son temps de repos.

Il existe déjà des initiatives adoptées de façon pertinente et efficace dans de nombreuses entreprises, dans des secteurs très variés. De bonnes pratiques à l’étranger peuvent être reprises et adaptées.

Ainsi à titre d’exemples :

  • Equiper ses salariés de téléphone professionnel : en France, 40% des entreprises le font, ce qui permet de distinguer de façon visible et simple le temps de travail du temps de loisir.
  • Organiser des séminaires de Digital Detox dans un but d’améliorer la cohésion d’équipe
  • Proposer des formations à une connexion raisonnée : comment adapter l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication
  • Couper les serveurs de mail de 19h à 7h le lendemain : certaines entreprises ont testé cette mesure, avec des résultats de performance qui ont dépassé leurs attentes.
  • Supprimer tous les mails reçus par un salarié pendant ses congés pour éviter la connexion à la boîte mail lors du temps de loisir : Daimler, en testant cette mesure, a augmenté la sérénité des employés au retour de leurs congés, limitant par conséquent le taux d’absentéisme lors de ces périodes.
  • Ajouter en signature de mail : « Si cet email vous parvient en dehors des heures de travail, je n’attends pas de réponse immédiate de votre part. »
  • Promouvoir des applications pour mieux gérer sa connexion : Forest encouragela déconnexion en faisant pousser des arbres ; Calldoor permet à l’employeur de gérer la connexion de ses employés à distance.
  • Tester la méthode Pomodoro, qui consiste à faire des micro pauses de quelques minutes à chaque fin de séance de travail de 20 minutes.
  • Créer un poste de responsable de l’expérience collaborateur.
  • Moderniser l’espace de travail : télétravail, war room, méthode agile, réunions debout.
  • Promouvoir le design biophilique dans la conception des espaces de travail.
  • Intégrer des casiers à téléphone pour laisser son téléphone professionnel sur son lieu de travail.

Et pendant le temps de travail ?

Pendant le temps de travail, il est également possible de favoriser une connexion raisonnée pour améliorer la performance et l’efficacité de l’entreprise.

Grâce à la Nomobox de Box Populi, les salles de réunion et salles de formation deviennent des lieux où l’usage du téléphone portable est limité : chacun apprend à déposer son appareil personnel dans un boîtier individuel. Alors le téléphone ne capte plus rien, assurant une totale disponibilité de chacun, avec la sérénité de pouvoir le récupérer à tout moment. Ainsi il y a une responsabilisation des deux acteurs : l’employeur qui accepte d’accorder une connexion plus raisonnée à ses employés et le salarié qui autorégule sa connexion au quotidien.

Si la déconnexion est devenue une obligation légale, elle figure aujourd’hui davantage comme une opportunité pour chaque entreprise de repenser ses habitudes de management.

Sources

Loi 2016-1088 du 8 août 2016, art. 55, II, JO du 9

art. L. 2242-17du Code du Travail

art. L. 3121-64et L3121-65 du Code du Travail

QVT dans l’entreprise innovante : http://www.focusrh.com/tribunes/le-bien-etre-au-travail-est-une-priorite-pour-les-entreprises-innovantes-par-marco-comastri-30816.html

Une nécessité de moderniser, grâce au Chief Hapinness Officer : https://www.emploi-environnement.com/news/management-qvt-qualite-vie-travail-label-certification-219.html

Label QVT : http://www.batiweb.com/actualites/vie-des-societes/certivea-donne-une-nouvelle-dimension-a-lamelioration-du-cadre-de-vie-au-travail-avec-le-label-osmoz-27-03-2018-32289.html

La volonté de promouvoir les Happy Tech, startup autour de la qualité de vie au travail : https://www.challenges.fr/emploi/management/quand-macron-et-penicaud-se-revent-en-chief-happiness-officers-du-travail_502503

Plateforme interne de QVT : http://www.carenews.com/fr/news/10068-social-tech-yesweshare-la-plateforme-generatrice-de-bonheur-au-travail