Booster la créativité en entreprise grâce au numérique ?

L’apparition des nouvelles technologies en entreprise a été considérée comme une fantastique opportunité pour booster la créativité. Jamais on n’aurait pensé pouvoir aussi bien planifier et communiquer avec autant d’aisance et de rapidité. Le numérique devenait la possibilité d’automatiser tout ce qui pouvait l’être pour se consacrer à faire évoluer la société. Libre à nous enfin, de nous concentrer sur notre propre valeur ajoutée.

L’idée est belle et le numérique a permis cette transformation. En partie au moins.

Il est des tâches ingrates dans tous les métiers, que nous sommes ravis de ne plus avoir à faire grâce à l’automatisation et la numérisation. Ainsi, nous avons gagner en temps et en efficacité sur ce qui nous importait vraiment.

Pourtant, ce n’est pas si rose car le modèle a plusieurs biais.

1 – L’abondance d’outil

Il n’existe pas un outil unique pour faire tout ce qu’on voudrait faire en entreprise (le suivi financier, la communication interne, la gestion de projet…) et heureusement d’ailleurs. Si l’outil venait à avoir un quelconque dysfonctionnement, ce serait l’intégralité de la société qui serait en péril.

C’est pourquoi nous avons plusieurs outils pour gérer chaque pan de notre activité. La conséquence de cette abondance d’outil est une tendance à naviguer de l’un à l’autre sans rester concentré sur un seul pour le maîtriser entièrement. Survoler et être polyvalent devient une norme quand on a autant d’outil à consulter, c’est humain et cela ne pose pas de problème a priori.

Mais c’est ouvrir la porte au multitasking.

Consulter plusieurs outils dans le but d’une seule et même tâche semble tout à fait louable et recommandé. Malheureusement, la consultation de ces outils peut faire naître le souvenir d’une tâche oubliée ou une envie d’avancer sur un autre sujet complètement différent de celui sur lequel on était.

Parfois cette nouvelle tâche ne vient pas de nous-même : des popup / notifications / mails nous enjoignent à vite arrêter notre travail de fond pour changer d’outil.

Lire à ce sujet l’article sur la différence entre urgence et importance.

Et malheureusement le multitasking n’est pas le meilleur ami de la créativité.

2 – L’abondance d’informations

Grâce aux nouvelles technologies, nous avons accès à une quantité inestimable d’informations. Si on n’y prend garde, toutes ces informations peuvent nous noyer, on parle alors d’infobésité (mot valise associant l’information et l’obésité).

Même avec des aptitudes d’organisation, il faut un temps de traitement de ces informations, de classement, d’analyse de l’intérêt d’une action.

Détenir trop d’informations, à un certain stade, s’avère contre-productif car nous passons finalement plus de temps à trier et comprendre, qu’à prendre du recul et poser des questions.

C’est par ailleurs un conseil qui revient dans toutes les formations d’entrepreneuriat : « n’attendez pas de tout savoir pour agir, car se former et s’informer à un moment donné poussent inconsciemment à l’inaction et à la procrastination. »

La créativité n’a pas besoin d’autant d’informations pour s’exprimer. Parfois le trop est l’ennemi du bien.

3 – le paramétrage des outils, les mises à jour, les sauvegardes

Alors que le numérique nous avait promis de se charger de toutes les tâches redondantes et rébarbatives, nous faisons face à de nouvelles tâches inattendues qui viennent combler le vide.

Il s’agit du paramétrage des outils et de leurs mises à jour qui peuvent nous sembler une perte de temps. Nous ne travaillons pas tous dans le domaine informatique et ce type d’événement peut avoir raison de notre patience et de notre énergie.

Combien de fois a-t-on dit ou entendu ces phrases ?

« L’outil ne marche pas aujourd’hui »

« L’outil est en maintenance »

« On n’a pas de réseau »

« Le serveur est en panne »

« L’outil m’a encore déconnecté »

Et c’est là toute la subtilité. Parce que le numérique est arrivé récemment dans l’entreprise, il s’installe mais avec ses aléas et ses erreurs. Nous avons donc de nouvelles préoccupations liées à ces erreurs : vérifier que l’outil a compris et intégré mon travail, sauvegarder sur différents supports mon travail, informer par plusieurs moyens et sur plusieurs outils de mon avancé. Ces nouvelles tâches sont également des automatismes.

Est-ce un risque sur la créativité ?

Pas forcément.

Les automatismes sont bénéfiques, ils sont reposants pour le cerveau et permettent de faire une mini pause inconsciemment.

Rentrons plus dans le détail de ces automatismes. Dans le cerveau, les synapses se créent et se détruisent chaque fois que nous faisons une action. Quand on se met à un nouveau sport ou à un nouveau métier, de nouvelles connexions neuronales se créent et font perdre de l’importance aux anciennes connexion. Ce sont des vases communicants, on ne peut pas en posséder à l’infini. Cela explique par exemple pourquoi si vous n’avez pas fait de tennis depuis dix ans alors que vous étiez un champion pendant des années, vos automatismes se sont emoussés.

Ainsi répéter des automatismes liés à la vérification, la sauvegarde ou le paramétrage d’outil, par exemple (il existe plein d’autres automatismes liés au numérique) va renforcer des liaisons neuronales au détriment de certaines plus farfelues, plus originales, plus surprenantes que nous n’utilisons pas beaucoup.

C’est ainsi que notre créativité peut se trouver étouffer par les automatismes liés au numérique.

Alors comment promouvoir la créativité dans un monde numérique ?

Trop d’outils, trop d’informations, trop d’automatismes : ces problèmes sont loin d’être insoluble.

En effet, chaque outil ayant son utilité, il suffit de se concentrer sur sa tâche, sans jamais dévier. Pour cela, la méthode Pomodoro par exemple permet des miracles : en se focalisant pendant 25 minutes sur une tâche, la tendance est bien plus forte de rester concentré et de ne pas se laisser distraire par les tâches entrantes. La concentration favorise la créativité.

Filtrer les informations entrantes en mettant en place des règles de tri automatiques ou en mettant en couleur certains sujets permet de gagner un temps considérable. Ne pas hésiter à se désinscrire de toutes les newsletters qu’on ne lit pas est aussi un bon moyen de maîtriser l’information qu’on reçoit.

Nous avons tous un comportement individuel avec les outils et une compréhension unique de la meilleure façon de l’utiliser. Harmoniser ces croyances et ces comportements peut s’avérer un travail fastidieux mais bénéfique.

Trouver l’information rapidement, là où elle devrait se trouver, permet de dégager du temps à ce qui importe : la digérer, prendre du recul pour gagner en créativité.

Car la créativité a besoin de temps.

Enfin, passer son énergie sur des mises à jour et des automatismes amoindrit la sérénité et la qualité de vie au travail. Conditions essentielles pour se mettre dans des dispositions créatives. Mais là encore c’est une histoire de compromis. Entre automatismes obligatoires et temps de créativité. Les deux vont de pair, mais pas en même temps !

Qu’en est-il des salles de créativité ?

Elles apparaissent depuis plusieurs années dans tout type d’entreprise afin de promouvoir la créativité.

Qu’est-ce que c’est ?

C’est une salle de réunion assez grande et plutôt spéciale :

il y a des post it partout, des tables rondes, des murs sur lesquels on peut écrire, des stylos et des feutres de toutes les couleurs, des ficelles, du scotch, du carton. L’environnement est recherché aussi pour plus de sérénité, avec de la verdure, et des parois insonorisantes.

Cerise sur le gâteau : on nous demande d’éteindre nos téléphones et nos ordis, voire parfois de ne pas les emmener, lors d’une séance de créativité. Le multitasking n’est pas le bienvenu.

Ce qui signifie qu’une séance de créativité s’appuie sur des outils simples, avec pour seule information, nos compétences et savoirs.

Le numérique serait-il l’ennemi de la créativité ?

Ne soyons pas si dur, car le numérique et ses multiples outils, lorsqu’ils sont bien utilisés et avec parcimonie, permettent justement un socle de connaissance plus fort pour exacerber la créativité.

L’important est, comme finalement beaucoup de choses, dans la mesure.

Marie-Anne CLOAREC, experte QVT 2.0