Ces dernières années, la révolution numérique a bouleversé les codes en entreprise. Certes, elle nous a permis de mieux communiquer et d’avoir davantage d’informations en notre possession pour mieux décider. Pourtant, elle pose également un problème de taille, insidieux et invisible mais au dégâts considérables : la différence entre urgence et importance.

Pour reprendre la célèbre matrice d’Eisenhower, en face d’une tâche à faire, je dois me poser la question de son urgence et de son importance.

Matrice d’Eisenhower

Si un sujet est important et urgent, je le fais immédiatement.

Si un sujet est urgent mais pas important, je le délègue.

Si un sujet est important mais pas urgent, je le planifie.

Si un sujet n’est ni important, ni urgent, je le jette.

Cette théorie semble simpliste, voire évidente.

Pourtant, nos comportements ne sont plus callés sur cette évidence.

Pourquoi ?

Le numérique.

En nous apportant de l’information constamment, le numérique nous détourne de ce qui est important pour nous focaliser sur ce qui est urgent. Pire encore, il nous arrive d’effectuer des tâches urgentes, mais absolument pas importantes.

Qui n’a jamais dû arrêter un travail fastidieux pour répondre à un mail sans importance qui aurait pourtant pu attendre ?

Ce type d’événement arrive à tout le monde chaque jour.

Aurions-nous perdu notre autonomie et notre volonté d’action pour succomber à la moindre sollicitation ?

La question est plus complexe. L’autonomie est un choix, certes. Si je coupe mon téléphone et mes différentes messageries pendant une heure pour finir un rapport, je conserve mon autonomie. Si je ne le fais pas, je suis informé qu’une personne attend une réponse de ma part à son mail car j’ai lu la notification ou le pop up.

Etre informé amène une contradiction : je suis convaincu que je dois continuer ce rapport mais je pense de façon récurrente à cette réponse à envoyer. Mon cerveau me rappelle sans arrêt cette tâche pour éviter que je ne l’oublie. Il me détourne lui-même du rapport qui me demande pourtant une grande concentration. C’est ce qu’on appelle une tâche de fond, en langage informatique. Conséquence : je m’occupe de ce mail pour avoir « l’esprit tranquille » et ne plus subir les rappels de mon cerveau, la récurrence de la « tâche de fond », et ainsi me concentrer à nouveau sur mon rapport. Le seul problème, c’est que les interruptions s’enchainent sans fin…

Mais est-ce vraiment un problème ?

Oui. La pensée met du temps à se structurer. On sait que le cerveau met au moins 10 min avant de se concentrer au maximum sur un sujet et devenir véritablement efficace. Seulement, au bout de 25 min de concentration, le cerveau perd en efficacité. Le moment où on est le plus efficace est finalement trop court pour le sacrifier pour un mail non important. En allant plus loin, puisque le cerveau met 64 secondes pour se connecter à un sujet (sans parler de concentration et d’efficacité), le fait de recevoir 100 mails par jour nous fait perdre 1h45 en simple transition du cerveau. La surcharge d’informations oblige à raccourcir le temps qu’on consacre à chaque tâche, qu’elle soit urgente ou importante. Diminuer le temps consacré amène à ne plus se poser la question « Urgent ou important ? »

La différence entre urgent et important est bien plus forte qu’il n’y paraît.

Ce qui est important dans notre travail, c’est ce qui nous apporte de la valeur ajoutée. C’est ce dont nous sommes fiers. Ce qui nous donne notre confiance en nous. Ce plaisir du travail accompli. A contrario, ce qui est urgent n’est qu’une question de délai à respecter, de date et de précipitation.

A la fin d’une année de travail lors d’un bilan annuel, nous abordons les tâches « importantes » ou encore ce qu’on appelle « grosses pierres » en gestion du temps. Souvent, les objectifs annuels se retrouvent dans la section des tâches « importantes ». Dans ces moments là, d’ailleurs, les tâches « urgentes » sont bien moins valorisées que l’énergie et les efforts qu’elles ont demandées, laissant un goût d’amertume.

Lors d’un entretien d’embauche, là encore, on parle principalement des tâches « importantes » que nous avons réalisées, les notions d’urgence deviennent floues et subjectives.

Les sujets importants contribuent à l’intelligence. Elle se développe sur un temps long. Qu’elle soit individuelle dans son bureau personnel, ou collective dans une réunion de travail, l’intelligence demande du temps pour être cultivée et nourrie.

En augmentant les sollicitations sur tous nos appareils, la technologie met en danger notre intelligence.

Multitasking en réunion, pop up d’arrivée de mail, notification Skype : l’urgence devient la norme et menace la qualité de vie au travail, autant sur la sérénité, que sur l’efficacité et sur la créativité.

Alors, on est tous fichu ?

Pas du tout.

La technologie fait partie du management d’aujourd’hui et son utilisation est plus qu’utile.

La solution : Différencier ce qui est important de ce qui est urgent dans les sollicitations numériques, et ne pas y répondre dans la foulée en s’octroyant des pauses numériques.

Comme le disait Eisenhower, « l’importance est un choix, l’urgence est un fait. »

Faisons le choix d’être autonome.

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Marie-Anne Cloarec, experte QVT 2.0