La boîte mail s’est imposée comme l’outil de communication le plus simple, le plus évident et le plus largement utilisé dans nos sociétés modernes.

Les avantages du mail sont indéniables, malheureusement nous avons tendance à sous-estimer ses inconvénients…


Pourtant, on sait aujourd’hui que beaucoup parmi ceux qui réussissent agissent régulièrement pour s’éloigner de leur courriers électroniques afin de se concentrer sur leurs tâches et atteindre leurs objectifs. Les exemples sont légions de personnalités qui se déconnectent, deviennent injoignables pendant plusieurs semaines ou se retirent dans la campagne pour réfléchir à un problème donné, sans connexion Internet.

Certains auteurs à succès comme certains chef d’entreprise pratiquent même le presque-zéro-mail car leur adresse mail n’est présente nulle part et demeure difficile à trouver. Il apparaît insensé aujourd’hui de pouvoir faire correctement son travail sans bénéficier d’une boîte mail constamment ouverte…

Mais d’où vient cette croyance que traiter ses mails doit être au centre de nos journées de travail ?


1 – C’est facile !

Dans son analyse intitulée « être connecté en permanence aide-t-il à améliorer le travail ? », Leslie Perlow a mis en évidence que passer un jour par semaine sans mail pour toute une équipe de communiquants augmentait leur productivité, leurs résultats mais aussi leur bien-être.

Elle en est parvenue à la conclusion que la culture de la connectivité est une solution de facilité. On obtient une réponse ou une information tellement rapidement qu’on se sent « obligé » de transmettre, à notre tour, les réponses rapidement. Quand l’information n’est pas immédiate, cela demande de la planification, un devoir d’organisation personnel bien plus rigoureux et davantage demandeur en énergie mental : finalement, au vu de cette étude, la connexion permanente à la boîte mail traduirait une certaine paresse mentale vis à vis de l’organisation de sa journée et de la maîtrise de son temps de travail.

Voir aussi : savoir faire la différence entre urgence et importance

2 – Ça semble efficace !

La facilité à caler sa journée de travail en fonction de l’arrivée des mails donne un sentiment de productivité.

Là encore, on se tourne facilement vers les avantages du mail : je suis informé-e des besoins urgents de mon entreprise, ce qui influence l’organisation de mon travail. Et on en oublie les inconvénients de ce type de comportement.

Consulter régulièrement ses mails donne ainsi le droit à toute personne vous écrivant d’influencer l’organisation de votre journée et de vous détourner du travail à forte valeur ajoutée que vous pouvez apporter.

Ce n’est pas en répondant rapidement à mes mails que je pourrais recevoir le prix Nobel : cette évidence est connue de tous, mais ne nous empêche pas d’ouvrir régulièrement l’onglet de la boîte aux lettres, pour y retrouver un univers rassurant et des questions simples auxquelles répondre.

En effet, Cal Newport, dans son ouvrage riche d’enseignement « Deep Work », considère le mail comme un travail superficiel, qui ne demande pas une grande capacité de concentration, ni un effort mental soutenu. C’est donc un univers numérique reposant qui nous éloigne des difficultés rencontrées dans des tâches plus ardues demandant une plus grande concentration et un effort mental plus soutenu. Pourtant ce travail complexe apporte en contrepartie une valeur ajoutée bien supérieure, et par la même une plus grande confiance en soi et une augmentation de nos compétences individuelles.

Voir aussi : allier numérique et créativité


3 – C’est visible !

Par rapport à l’artisanat ou à l’ère industrielle précédente, les indicateurs d’efficacité et de performance sont devenus plus flous et moins visible. Se rassurer sur le fait qu’on travaille vraiment, mais aussi montrer aux autres qu’on est effectivement productif n’est plus aussi simple.

Le mail représente alors occasion rêvée (parce que simple, facile, immédiate et gratuite) de montrer à tout le monde qu’on avance sur un sujet, tout en donnant, tel un cercle vicieux, l’opportunité aux autres d’en faire de même et de répondre en chaîne sur un sujet qui gagnerait à être traité avec davantage de rigueur et de concentration.

Pourquoi ?

Parce qu’envoyer un mail dans le cadre d’un travail ardu, va obligatoirement demander un temps de traitement important de la part des destinataires, avant qu’ils puissent exprimer leur avis et y répondre de façon construite. Pendant ce temps l’expéditeur va se concentrer sur un autre sujet, laissant celui-ci en jachère en attendant la réponse des autres participants.

Effets positifs : sentiment d’avancer, visibilité du travail de réflexion, partage des difficultés.

Effets négatifs : morcellement du travail de réflexion, perte d’énergie et de temps pour passer d’un sujet à un autre, sentiment de tâches inachevées multiples, absence de maîtrise de son temps de travail.

Le sentiment de la tâche inachevée

Le fait de ne pas achever une tâche est connue des neuro-scientifiques : le cerveau apprécie les tâches terminées. Ce qui explique l’émotion positive qui accompagne le fait de rayer une tâche sur une liste ou d’archiver un dossier terminé.

Dans son article de 2009, Why Is It So Hard To Do My Work, Sophie Leroy évoque la notion de « restes d’attention ». Selon elle, lorsqu’on passe à une nouvelle tâche, on laisse derrière soi des « restes d’attention » accrochés au sujet précédant. Et ces restes d’attention sont d’autant plus important si la tâche est inachevée et illimitée.

Le traitement des mails est une tâche inachevée et illimitée, car de nouveaux courriers arrivent chaque instant. Ainsi notre boîte mail devient un dépotoir de dizaines de « restes d’attention » accumulés au fur et à mesure de la journée. Et en conservant une partie de notre attention, le traitement régulier des mails devient alors une source de diminution de la performance.

Alors que faire ?

Aucune réponse miracle n’existe. Néanmoins la première réponse consiste à reprendre le contrôle sur son temps de travail.

1 – définir des horaires fixes auxquels traiter ses mails

2 – repousser la tentation de consulter ses mails lors de phase de travail rigoureuse pour ne pas surcharger le mental

3 – éviter les séances de travail rigoureux par mail en créant des groupes de travail pour traiter le sujet et uniquement ce sujet sur un temps donné limité.

Pour reprendre Coluche, « ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison » !

Vous pouvez maîtriser le pouvoir du mail sur votre journée de travail, sur votre concentration et ainsi sur l’augmentation de votre confiance en vous.

Pour commencer, testez une demi-journée en mettant en pratique ces 3 points et analysez votre ressenti. Si le stress lié à l’inquiétude de manquer une information importante est trop grand, alors augmentez le nombre d’horaires fixes auxquels vous regardez vos mails. La planification n’est pas une contrainte mais un moyen de reprendre la main sur votre emploi du temps.

Marie-Anne CLOAREC, Experte QVT 2.0